interview de Damien Saez
dans le magazine Rock sound du mois de juillet
 
 
 

L'usage du monde:
 

En moins d'un an et à l'aune d'un seul disque, "Jours étranges", Saez s'est imposé comme un des vecteurs incontournables du nouveau rock français. Ecorché et provocateur, bouleversant et arrogant, tout en restant profondément humain, il bouscule les certitudes, change les paramètres et impose du haut de quelques testes limpides, une véritable vision du monde. Tant il est vrai que, comme on le dit sur NRJ pour le présenter et malgré le fou-rire que sa déclenche chez lui, "Le verbe, c'est hyper important pour lui!" Rencontre.

Montpellier,26 mai. Ce soir, Saez joue au Rockstore, salle locale. Hier, il était à Marseille, une ville qu'il connaît bien. Pas content Saez, le public n'a pas bien réagi . C'est que l'animal est exigent. Avec lui d'abord, donc avec les autres. Tournée, fêtes, pas manger, peu dormir, Petit Prince est sur un nuage mais aussi sur les rotules. Mais il assure. Face à la mer, assis devant une pizza à laquelle il ne touchera pas, il se livre un peu  sur le fond. Et pour la première fois . Il nous dit "honoré" que ce soit pour Rock sound. Nous, on ne lui dit pas que tout le plaisir est pour nous mais on n'en pense pas moins...
 

Quand je t'ai vu pour la dernière fois, j'ai trouvé que ton groupe avais plus de liberté. C'est juste une impression?
Non, et ça va être comme ça de plus en plus! Je pense qu'ils ont un peu moins peur. Je dis qu'ils ont un peu moins peur. Je dis cela sans prétentions...(silence) Moi, j'ai toujours eu un côté " je porte tout", tu vois!? Mais, dans tout ce que je fais, je veux dire. Je me fais un restau, je ne me fais jamais inciter par exemple. Enfin, sauf quand c'est professionnel...Mais pour qu'on me paie un coup , vraiment, il en faut! C'est con! C'est vraiment débile comme façon d'être, mais je suis comme ça.

C'est un trait de caractère ou un truc d'enfance?
C'est plutôt un truc d'enfance, je crois. Plutôt une espèce d'auto-prise en charge qu'une manière d'amortir les coups finalement. Tu vois, hier, à Marseille, le concert par exemple, les gens n'étaient pas "là" . A part les dix premiers rang ou à l'inverse ça pogotait grave. Mais, au-delà de cette partie-là qui vivait le truc à fond, tout ce qu'il y avait derrière, c'était...(silence) Alors, soit il venaient à la messe et je ne m'en suis pas rendu compte, soit... C'était assez bizarre, des mecs qui ne bougeaient pas et qui chantaient toutes les paroles. Mais qui ne bougeaient pas, limite s'ils applaudissaient! Très bizarre. Ben moi, très vite ça m'a gavé et on est revenu pour le rappel, Marcus(bassiste, choeur-ndr) et moi...et même les autres, on  le sentait tous, ça ne le faisait pas et...

Tu sens une différence entre les publics d'une région à l'autre? Et c'est conformes aux clichés que tu peux avoir sur les régions en question?
Pas du tout justement! Strasbourg par exemple, c'était étonnant. Alors qu'à priori, j'aurai plus misé sur Toulouse par exemple que sur Strasbourg. Et vraiment Strasbourg, c'était fou! Lyon aussi, c'était bien. Cela étant, il ne faut pas non plus grossir le phénomène comme à Marseille l'autre soir, c'est quand même des problèmes de "riches"! Pour n'importe quel groupe, le concert d'hier aurait été super. Mais, après, on perd un peu les repères et on est là :"Et pourquoi ce n'est pas l'hystérie sur chaque phrase chantée!?" Hé, ca va!! Il faut tout de même pas exagérer, ça ne peut être ça tous les soirs, tu vois!? Il faut redescendre un peu...Il faut se souvenir qu'il y a plein d'artistes qui font des tournées pendant des années et il n'y a pas d'album et les gensne connaissent pas les chansons par coeur. Et n'apportent pas directementce soutien de :"Je suis concquis avant même que tu arrives!" C'est pour ça que je dis que ce sont des problèmes de "riches". On a vraiment de la chance.

La scène, quand on a un jour approché la musique, on a tous rêvé de ça. Tu vis ça comment? Je veux dire, tu as remarquer une évolution de ton ego par rapport à ça?
Je me suis posé la question et ...ça "n'existe pas". Ce que je veux dire, c'est que mon ego ne change pas d'un iota. Je trouve les gens beaux, ça me fais du bien, je trouve ça émouvant, ça me touche énormément ,notamment entendre les gens ou les voir captivés sur un texte comme "Jours étranges", ça me touche profondément mais ça  ne change pas mon ego. Je trouve ça fort émotionnellement et c'est pour ça que je dis que j'ai de la chance. C'est de l'énergie qui m'est donnée et je ne vois pas comment ça pourrait faire bouger mon ego dans un sens ou dans un autre, sincérement. Ce n'est pas toi qui donnes, tu comprends!?
 

"Rock n'Roll Star", c'est de l'ironie pure et brute ou c'est un "désamorsage" par anticipation?
C'est un désamorsage, c'est évident. Un désamorsage dans la chambre de bonne avant que le disque ne soit fait... C'est aussi une référence rigolote à plein de gens qui sont la "star" de leur domaine, de leur truc, de leur cage d'escalier. J'en ai rencontré plein comme tout le monde . Des "vedettes" à leur échelle, dans leur petite ville de province, dans la petite boîte de nuit locale. Mais qui dans ce schéma-là, sont de véritables "rock n'roll star", avec les mêmes tics et les mêmes clichés que les autres! Moi, je trouve ça rigolo. Cela étant, à mon niveau, c'est pareil que l'ego ce n'est pas possible, "ça n'existe pas". ça ne PEUT PAS  exister... C'est pour ça que, même si ça fait partie de "l'histoire du rock", de la mythologie et que ça  a créé des personnages, finalement, Billy Corgan, c'est plus un acteur qu'un chanteur! Si la mégalomanie en arrive à ce point là, il faut se calmer. Il  n'est pas Mozart et ne le sera jamais. Ca reste un mec qui a fait quatre chansons et demi sur trois accords et demi, ça s'arrète là. Alors, soit il accepte ce rôle de chanteur qui écrit des chansons comme un Dylan peut l'accepter avec une beauté et une simplicité qui font partie de la vie, soit il se prend pour Dieu-le-père et, à ce moment-là c'est juste un acteur.

Tu as de l'admiration pour une attitude à la Springsteen par exemple?
Oh oui! Evidemment, c'est ça la vérité. Bon maintenant, c'est vrai qu'on a envie d'un peu plus d'énergie, qu'on est plus énervés, qu'on a peut-être envie de gueuler un peu plus fort que lui ne le fait. On est pas forcés d'être en permanence dans cet état de sagesse mélancolique --comme Dylan du reste, "Blowin'in the wind", il a finalement tout dit dans cette chanson-- qui répète : "Combien de routes il va falloir faire avant qu'on soit des hommes?"! Il y a des moments où l'on a besoin de ça  mais il y a  aussi des moments où le "My Way" des Pistols, il n'est pas mal non plus (sourire) ! Ouais parce qu'il y a des moments  où l'on pète les plombs... Mais c'est plus une attitude de gamin ça :" j'ai six ans et j'envoie tout chier parce qu'il le faut!" Sans raison. Juste par ce qu'il le faut.
 

Tu détestes t'auto-justifier hein?
C'est à dire?

Quand tu fais quelquechose, bien ou mal, par besoin plus que par envie souvent, tu refuses souvent d'avoir d'avoir à le justifier face aux autres...
C'est possible. Je pourrais à la fois dire oui et non... C'est bizarre.
 

Je disais ça par rapport au pétage de plomb d'un gamin de six ans dont tu as parlé...
Oui, j'ai bien compris. Ouais t'as raison, il y a de ça. En plus...
 

Ouais, c'est ça: "je me ronge les ongles et je vous emmerde!"...
Oui, c'est vrai, je n'ai pas besoin de me justifier et je n'aime pas non plus qu'on me prenne trop au premier degrè, ni qu'on fasse d'amalgame... Parce que les mêmes mots il y a un an et aujourd'hui ne sont pas pris de la mêmr façon, ils n'ont pas le même poids, tu vois ce que je veux dire? Aujourd'hui le moindre "Vous me faites chier!", d'abord tout le monde ferme sa gueule, alors que ce n'est pas forcément ce que je demande; et ensuite c'est automatiquement dans la tête des gens : "le voilà qui fait sa star!" Ca ça me gave! Mais vraiment.
 

Ca te retient désormais sur certaines chansons, je veux dire de te laisser aller, parce qu'elles ne seront plus prise ou comprise comme elles devraient?
Par exemple?
 

"Sauver cette étoile" notamment qui aujourd'hui n'est certainement plus prise par les gens comme lorsque que tu étais inconnu...
Je ne crois pas que ça me "retienne" comme tu dis mais il y a un truc qui me fatigue par-dessus tout: c'est que ce ne ce soit pas gai...
 

Que veux tu dire?
L'argent fait sur de la gaité, je le trouve plus sain que l'argent fait sur le malheur.
 

C'est très judéo-chrétien , ça !Et pour le coup, c'est de l'auto-justification, non?
Moi, je ne dirais pas que c'est judéo-chrétien, au contraire! Le côté chrétien, ce serait pluôt : "Je me plains, je suis content de me plaindre et écoutez-moi pendant que je me plains!" Et si on pouvait se flageller en plus, ce serait pas mal... Non, c'est pas ça!
 

Je suis d'accord sur le principe mais je ne parle pas de ça, je parle de la réflexion que tu as dessus... cette espèce de "morale".
Non, ce n'est pas "moral", c'est sain. Et je parle de mon esprit, je ne parle pas au niveau social, ça, je m'en fous, je m'en carre totalement. C'est juste que ça me fais chier de chanter certains trucs "Monter là-haut", c'est vrai, j'ai de plus en plus de mal. c'était à strasbourg justement je crois, on commence la chanson, il y avait un mec et une nana devant qui étaient en larmes, carrément, complètement. Genre, la tête posée sur la scène, les sanglots et tou. Et toi, t's là : "Ca ne vas pas ! je suis curé ou quoi !?" Eh ben, tu peux retourner le truc comme tu veux, il y a un peu de ça, il y a un peu de curé dedans : "On viens sortir ensemble notre douleur." Et c'est une messe, tu te rend compte, une messe ! Au bout d'un moment ça prend une empleur... Regarde U2 d'ailleur, encore une fois , quand ils vont dans une ville, ils ont le statut du Pape ! voire plus. Et ça, c'est bizarre pour le moins, sinon dérangeant. C'est pour ça que je te disais tout a l'heure, "ça n'existe pas," ça n'est pas réel, ça n'est pas le "réel". Et pour moi, ça ne le seras jamais.
 

Quelque part, c'est un peu le rôle assigné à l'artiste dans une société : être le récipiendaire des frustration et des douleurs non ?
Oui, tout à fais, d'autant que franchement, tu retranche la religion à l'art, que reste-t-il ? Pas grans chose, non !?
 

Ces choses qui te sont révélées tu penses que ça peut influencer l'artiste dans l'intimité de l'ecriture ? non parceque l'ecriture c'est le réel.
 

Tu te contredit là un peu ! imagine, tu ecris une chanson, seul dans une chambre d'hotel, elle t'es inspirée par un moment de cafard, tu la soumet au groupe, vous l'enregistrer, elle sort sur disque, elle plait aux gens. Elle auras d'un coup un impact sans commune mesure avec ce que tu avais dans la tête au moment de l'ecriture. Et on en reviens au concept : "c'est pas très simple de faire de l'argent sur le malheur". non ?
Ouais, ouais, c'est vrai ... Mais, regarde hier soir on sort après le concert et on tombe sur des nanas, vingt/vingt et un ans il y en a une qui me dit : " tu vois tes textes, c'est ma vie ! " Ben, c'est comme ça ! c'est comme les lettre que je reçois... une des toutes premières lettres que j'ai reçues, il y avais une seringue avec ! C'est tout con et c'est rien à soi, par rapport à la vie, c'est rien mais... C'est pas du Souchon, quoi. Tu vois ce que je veux dire !
 

Ces choses là te boulversent dans ton integrité d'être humain, je ne parle pas de l'artiste là !
Ouais, ça me fais chier. Ca me marque. Parceque moi, quelque part, j'aimerais bien un monde parfais, isolé, ou tu peux regarder, être touché par mais sans toucher, tu vois ? J'aimerais écrire sur des choses que tu veux vois, mais que tu vis par procuration ...
 

Vivre des choses dans un bulle, par procuration, sans se faire mal. En même temps, la vie, ce n'est pas comme çà, ça fais mal ...
Et là, ou tu te rend compte des choses, c'est que, quelque fois, tu peux être dépassé par les mots. C'est con, ce ne sont que des mots mais ils peuvent être plus grands que toi.Parceque le mots sont toujours pris dans leurs sens profonds.
 

C'est pour cela que tu force ta voix des fois ? Pour "désamorcer" certain mots ?
Bah oui, un peu. "Amandine" par exemple, ce n'est que ça. C'est : "je parle de quelque chose mais j'en parle d'une certaine façon". Au point qu'on oublis même le sujet de la chanson. Et les gens ne se focalise plus que tu la manière dont tu la chante pas sur ce qu'elle dis. C'est évidemment une façon de désamorcer.
 

Quand tu sur-joues un texte, tu deviens un acteur, non ?
Oui je suis daccord. C'est ça. Oui parceque je crois au théâtre. J'en reviens à hier, où il y eu deux/trois réflexions interessantes. Il y a un mec qui a dis à un moment : " Oh là là ! Il se la pète grave ! " Un truc dans ce genre. Et je trouve ca normal que ca ressorte et qu'un mec dise ça. Mais, en même temps, il viens me le dire, la seule réponse que j'aurais, ce seras : " Oui, mais toi tu paies cents balles pour venir le voir et moi, je ne paies pas cents balles pour venir te voir ! " ça s'arrete là. Si tu n'as pas envie de voir un mec qui est à un mètre cinquante plus haut que toi, qui parle dans un truc qui fais que sa voix, on l'entendra cent fois plus fort que la tienne, si déjà, tu ne peux pas suporter ça, alors ne viens pas ! Parceque moi quand je vais voir des gens, sois c'est les deux aspects cumulés -- ce qui est très bien -- sois c'est de l'émotion pure. Avec le paroxysme dans un sens d'un Springstieen par exemple : ou chaque soir pendant trois heures, c'est l'auto-analyse, "vous en faites ce que vous en voulez mais moi je me donne" sois c'est un chow, c'est du théatre, il y a des personnages, chaque mot deviens un personnage, tu vois ? Quand les deux se cumulent c'est génial. Mais j'aime bien les deux. Bono, en méphisto, avec ses cornes qui d'un coté peuvent sembler completement ridicule mais c'est génial. Bowie, c'est pareil, tu enleves cette dimension à Bowie, il ne reste pas grand-chose. Mais tu peux aimer Bowie et Loureed, c'est possible. Voilà pou le coté "acteur", le coté théatre, moi, j'aime bien ... Là, je ne le fais pas trop, c'est anecdotique pour l'instant mais de plus en plus je vais le faire. Et serieusement. Quand je dis "théatre", c'est vraiment le mot : maquillage, personnages, aller un peu allieur : donner un peu un sens ... Comme la messe, on y reviens !
 

Tu ne detestes pas l'arogence, n'est-ce pas ?
Non c'est vrai (rires). Mais c'est ça le truc, c'est pour ça qu' Oasis me fais rire. Si je les prenais au premier degrés, je n'écouterais pas une seule de leurs chansons. Maintenant, Il y a autre chose derriere qui m'interesse. Ce dont on parlais tout a l'heure par rapport à la voix, si ce n'est pas de l'arogence alors qu'est-ce que c'est ?
 

Dans l'idée même de se maquiller, de "monter" un spectacle, est-ce qu'il n'y a pas déjà en germe, le reproche récurrent qu'on fait souvent aux artistes et spécialement aux chanteur, de chercher à se dissimuler?
Oui, si le chanteur n'est que ça. Si, du début à la fin de son spectacle, ce n'est que ça, alors évidemment il se dissimule. Si c'est ça parmi le reste, non. C'est autre chose... Je ne pourrais pas être travesti en chantant "Sauver cette étoile", ce n'est pas possible. Je ne pourrais pas et il n'y aurait aucun intérêt à l'être. Tu parlais de "prétention", mais commencer une chanson par : "Ici dieu le Père qui te parle..." tu vois (rires)! A la base, c'est un peu dur! Mais il y a la phrase qui suit.
 

Ce que j'aime bien chez toi, c'est ce sens assez déroutant d'assumer les choses qu'on ne rencontre pas souvent. Spécialement dans le milieun musical français où les gens passent leur temps à s'excuser de demander pardon de faire ce qu'ils font...
C'est exactement ça! Ca rejoint ce que je disait par rapport au mec d'hier, celui de "il se la pète grave" tu sais... "Pourquoi il n'est pas que fragile Saez, qui si on le touche il va se briser, qu'en plus il nous montre que vraiment il a besoin de nous et qu'il nous remercie, nous grand public énorme..." Moi, je suis désolé, si je me fais chier avec un public pendant une heure et demie, je le dis. A Marseille, ils n'ont pas été déçus: je leur ai dit que c'était le pire concert qu'on avait  fait! Parce que c'était vrai tout simplement. Et même si ça me fais chier de le dire parce que c'est une ville et des gens que je connais un minimum... Mais ils m'ont gavé, que ce soit pour le show-case ou pour le concert. Ce n'est pas que le public n'est pas présent mais c'est juste qu'à un moment, tu te demandes pourquoi il est là! Donc, c'est vrai, j'estime qu'on arrive pas forcément quelque part en baissant la tête, voilà...
 

Mais justement, ce n'est pas de l'arrogance pure que de vouloir capricieusement qu'un public soit ci ou ça!? Après tout, il a le droit d'être comme il a envie le public!
Non. Il n'a pas le droit. Parce qu'evidemment, on peut prendre le truc dans le sens : "t'es payé pour le faire". Mais, pour moi, il y a une autre notion dans le fait de chanter que d'être juste "payé" pour le faire. D'abord, ce truc n'est pas vraiment un métier et de plus sur une heure et demie, il y a des moment où il n'y a pas de maquillage... Tu vois ce que je veux dire? J'ai ma conscience pour moi en quelque sorte. Mais on est en France et ce discours passe mal. Moi, si tu veux, pour reprendre le cas d'Oasis, je comprend tout à fait un Noel Gallagher qui, lorsqu'on l'accuse que ça musique ressemble à celles des Beattles, se contente de répondre : "Ecoute gars, j'ai vendu vingt millions d'album, il y a vingt millions de crétins qui sont allés mettre cent vingt balles dans le diques; je suis multimillionnaire, je suis gros, gras et riche et maintenant, que ça ressemble aux Beattles, je m'en fous!" Eh ben, je préfère ça comme démarche -- parce que je sais qu'il y a quelque chose derrière, que ce n'est pas du premier degrès-- à une attitude de carpette, maniant la langue de bois...
 

C'est une manière de te surprotéger  aussi quelque part, non?
Oui, bien sûr. Mais c'est aussi une manière de ne pas lécher le cul tout le temps. Et ce n'est pas parce que c'est "ton" public, que tu lui dois la vie. Il n'y a rien de méchant dans ce que je dis attention! Mais moi, j'arrive sur scène, c'est : ou je les trouve beaux et je suis content et je suis même véritablement "honoré" par leur présence, avec tout ce que le therme contient comme respect ; ou rien ne se "passe" et qu"on ne compte pas sur moi pour me mettre à genoux. Parce que je n'ai pas à le faire et que je n'ai pas à caresser qui que ce soit dans le sens du poil pour qu'il y ait un échange. S'il y a communication, c'est parfait ; dans le cas contraire, pendant une heure et demie, je vais essayer de faire en sorte qu'il y ai une communication, d'aller chercher les gens, à coeur ouvert. Mais si ça ne marche pas je ne ferai pas "comme si"! Je vais ouvrir ma gueule... C'est ce qui fait chier la maison de disque du reste. Il y a un truc qui les fait chier et c'est celui-là: le fait que j'ouvre ma gueule ! C'est une question de caractère. Et c'est vrai pour tout.
 

Ils te préfèreraient plus fade, plus lisse?
Ben tiens! Au Printemps de Bourges, je demande des pass à un mec qui me balade pendant dix minutes; d'ailleurs, je ne demandais même pas des pass à lui, je demandais qu'on appelle quelqu'un, nuance! Bref, je parlemente pendant je ne sais combien de temps pour arriver à rien, au final, j'appelle mon tourneur pour lui dire : "Viens me démerder cette histoire de pass". Et, qu'est-ce que j'apprend la semaine suivante? Que le truc qui circule à la maison de disque c'est : " Ah ! Saez a encore fait des sienne, il a encore foutu le souk ! "ça me fous en rage ! Ah c'est rock'n roll ! Quelle grande famille ! Putain, même chez TF1, ils sont plus d'avant-garde; et au mois ils sont polis ! Ca, ça me gave. Avant que je n'abonde dans leurs sens, il en faudra des années ! Alors de temps en temps, on m'explique qu'il faut faire ci, qu'il faut faire ça , qu'il faut être "malin" ! Putain, pour moi "être malin", ce n'est pas ça du tout. Être malin pour moi c'est être fidèle, c'est savoir où tu vas, pourquoi tu y vas et avec qui. Même  s'il n'y a que deux personnes. C'est peut-être à trois que le truc va marcher. Tu sais, une relation avec un public, c'est comme une relation amiureuse : si l'un des deux aime plus que l'autre, il y a un déséquilibre. Alors bien sûr, on a tous une sensibilité, un coeur, des émotions mais il y a une limite aux choses...
 

N ' y a-t-il pas un paradoxe entre ce qui semble être une de tes obsessions "ne pas se blesser" et les textes faisant plutôt état du contraire ?
Evidemment. Qui a envie de se blesser ? Je crois qu'iol y a eu des moments qui m'ont calmés avec ça. D'autant que j'ai vaguement le sentiment de l'être constamment. C'est le truc des insatisfait ça... Tu cours, tu évites les obstacles et parfois tu vas même te créer des obstacles que tu vas passer du temps à éviter ! Ce n'est pas très simple c'est vrai. Et ce paradoxe que tu relevais, je crois qu'il est dû au fait d'être en permanence insatisfait. Insatisfait pour moi, ça veux dire un peu "blessé en permanence".
 

Tu semble quelqu'un annimé par la compassion par le soucis de l'humain en règle générale et en même temps, on a le sentiment que tu peux être impitoyable...
(silence) Ouais, ça, c'est vrai et c'est un défault. Je peux être inmpitoyable. Je suis tellement droit que j'en suis rigide. Au point que ca devienne un défault. Le coté "impitoyable" va avec le coté "je ne me justifie pas" je crois. C'est le côté "gamin de six ans" aussi. Plus impitoyable que les gamins, je n'ai pas vu... Un gamin est quand même ce qu'il y a de plus facho. "tu donnes? Tu veux pas donner? Je ne te parle plus. Tu veux toujours pas  donner? Je crie, je hurle". Et dans la cour de récré, c'est : "Tu vas voir ta gueule!" Et pour peu que tu aies des lunettes et une tête de premier de la classe, tu morfles! C'est cette logique-là, je le reconnais et c'est terrible parce que tu n'as plus ce reflexe instinctif de te mettre à la place des gens. Essayer de comprendre les gens. C'est : "Allez tous mourir!" et c'est le plus gros inconvénient de cette attitude.
 

Est-ce que cela t'interroge sur une nature profonde relativement violente que, du coup, ton travail en tant qu'artiste essaierait d'humaniser?
Tu as moitié juste, moitié raison! C'est-à-dire que tu as raison (rires) ! Le truc, je crois, c'est "se regretter" . C'est dur ça. Quand je dis "se regretter", c'est "regretter ce qu'on était". Et même ce qu'on a pu être dans les moments difficiles. Mais, il y a un moment où le "gentil", "l'humain" à l'état pur, il a trop pris, même inconsciemment. Je t'assure, il y a des moments aujourd'hui où je déprime parce que je me dis : "Putain, mais qu'est-ce que tu es devenu?" "Putain, mais il est où? Il est où, le môme que j'étais?" Parce que contrairement à ce que j'ai dit tout à l'heure sur les gamins de six ans, moi à six ans, j'avais une attitude d'un mec de vingt ans ! très réfléchi. Pas de caprices. Essayer de comprendre les gens, de me mettre à leur place. De comprendre pourquoi le mal, etc. Tout le temps. Une maturité permanente et quasi instinctive. Et ça, ça continue de marcher dans la tête mais dans le comportement social, de moins en moins...C'est pour ça que je dis "se regretter" .Et les chansons, ce n'est pas humaniser les choses, c'est d'être soi avec toute la sensiblerie et la naïveté que ça peut comprendre. C'est pour ça que, par rapport au public, je ne vais pas être non plus d'une indulgence totale et que je ne vais pas me donner à corps et âme  en plus de mes chansons. Parce que j'estime que déjà, dans les mots, j'ai pas mal donné. Je suis déjà là, je suis moi et il n'y a pas un mot qui est un mensonge. D'ailleurs, quand je sors de scène, je suis ailleurs, je n'ai pas de réactions, de sentiments. Et puis, au bout d'un moment, je reviens dans la réalité. Mais tout a un sens, j'en suis convaincu : partir de sa ville tout seul; se retrouver à Paris pratiquement tout seul ; et puis un album rebelote ; et puis maison de disques et tout ça sans argent ; c'est un défaut... Mais ce sont des gens qui te font devenir comme ça, je veux dire. A moment donné entre patron de maison de disque, tourneur et médias, ce n'est pas non plus de la franche rigolade ; et c'est n'est pas non plus de "l'humanité brute"  ! Et ça aussi, je le "regrette", c'est pour ça qu'il va falloir que je passe un peu de temps avec moi. Contrairement à ce qu'on peut penser, je ne passe pas beaucoup de temps avec moi.
 

Ce que tu es train de vivre tu t'en sers comme thérapie?
Pas là, maintenant. Mais de ce que  je suis en train de faire pour après, oui.C'est au moment de l'écriture qu'il y a une thérapie. C'est là où tout le monde se retrouve face à ses  hésitations, ses doutes. Va-t-on arriver à faire sortir ses douleurs? A le mettre là, noir sur blanc? Après, ça ne l'est plus. Mais l'écriture oui. L'écriture du texte, il n'y a pas à chier, c'est vraiment la science de l'âme pour moi. D'ailleurs, au niveau de l'éducation en France , je trouve que c'est un drame, l'écriture... Autant je trouve que j'ai eu de grands pédagogues en ce qui concerne la littérature, la lecture, l'explication. Comment même un poème de deux strophes pouvait être pensé, calculé, mis en place comme une harmonie d'un morceau de musique. Comment la poésie par exemple n'était pas que de l'inspiration. En revanche zéro au niveau de l'écriture! Et au Conservatoire, pareil! Moi, ça m'a marqué. Qu'on ne t'apprenne pas "à écrire" en fac de lettres, je trouve ça aberrant. N'appelez pas ça fac de lettres! Appelez ça fac de lecture, fac d'histoire de la litterature ! On apprend bien la technique au CP, pourquoi n'apprendrait-on pas la composition plus tard?
 

Pour des raisons sociales, politiques, morales et bien d'autres encore : certaines choses sont réservées à "ceux qui savent". Après, on crée des musées, on institutionalise le savoir, il y a des artistes "officiels", etc.
C'est ça ! Ce côté : "on a déjà des génies, sachez qu'ils sont des génies, vénérez-les!" Comme au Conservatoire ! "Quoi tu veux composer? Ben attends, t'es pas Mozart !" La question, c'est pas que je sois Mozart ou pas, c'est l'envie de le faire. Et c'est sûr que je ne suis pas Mozart mais Mozart, il n'avait pas mon coeur et il est mort ! Alors, si on pousse ce résonnement au maximum, on fait quoi ? On arrête tous de vivre ? Ca ne m'etonne pas qu'il n'y ait plus d' idéologies, plus de rêves, tout va ensemble finalement !
 

C'est une réaction par rapport à ta formation ça ?
Non, parceque ma formation, je la respecte. Le Conservatoire, c'est une partie de moi que je ne renie pas du tout, loin de là.
 

Ca pourrait être un rejet aujourd'hui, parce que sur le côté "Ex-pensionnaire du Conservatoire", je trouve que tu n'en fais pas des tonnes...
Parce que ce n'est pas ma recherche aujourd'hui. Maintenant, quand je te dis que le deuxième album vas être différent et que j'ai envie de le faire tout de suite, ça te donne sans doute quelques pistes de ce côté... Mais, aujourd'hui, la reflexion que j'ai sur le Conservatoire, c'est plus un constat. J'ai fait du piano et de la guitare même si j'ai plus travaillé le piano; j'ai écouté autant de classique que de rock; je me dis que s'il y avait une partie réservéeà la composition, ce serait vraiment l'endroi idéal ! Mais le conservatoire, c'est magique, tu n'as pas à payer ! Tu te rends compte ? Tu ne débourses pas un sou et on met à ta disposition une maison avec plein d'instruments dedans ! C'est vraiment la "maison de la musique". L'idée est extraordinaire. C'est pou ça que l'absence d'enseignement de la composition est d'autant plus dommage. Parceque c'est important de révéler ça aux gens. C'est tellement important de leur montrer que s'ils sont souvent considérés comme la moitié de quelque chose de formidable, tu vois ce que je veux dire ? Leur faire prendre conscience, ne serait-ce qu'il y a du chemin à faire, du travail à fournir. Mais que la base est là , que la petite graine est là, qu'elle vas donner un bébé, qui apprendra le languag, avant lui-même de devenir père ou mère ! À un moment, je trouve que c'est juste ne pas faire comprendre le stade de l'évolution, mais juste le resultat : là, le génial et là, le point zéro, sans donner aucune chance à aucune tentative de dépasser le point zéro pour aller à 0,1. Ce qui est déjà un point énorme. Tu vois, c'est ça que je regrette... Cela dis, on pourrait aussi me dire : "Dis donc, peut-être que si on avait laissé la place à la composition, t'aurais peut-être pas eu l'envie que tu as eu d'y aller seul... "Peut-être que c'est vrai, que ça n'aurais pas fait monter en moi autant de frustrations qui m'ont permis d'avancer... C'est possible. Sauf que pour moi, ce n'est pas vraiment une bonne logique; même si on peut en constater les effets après. C'est comme si quelqu'un me disait : "T'as eu de la chance que ton père se casse parceque, comme ça, t'était malheureux et ça ta rendu sensible." Tu vois, c'est un peu la même chose. Et c'est pas une bonne logique...
 

Tu as eu des tentatioins parfois ?
Ca, je crois qu'on en a tous . Et puis, moi je le dis : "je ne suis pas un ange" et je ne l'ai jamais été. Ou alors, je ne m'en souviens pas (rires) ! Tu connais le truc : "je n'ai jamais tué de chats. Ou alors ils n'étaient pas beaux et ils sentaient mauvais (rires) ! " Le mal, on a tous ça en nous, et on est tous tentés et on fais tous des conneries; et on prend même du plaisir à les faire. Tu sais, malgrès les apparences, je ne suis pas très fort, très costaud. Au niveau des tentations, c'est vrai que je vais me pencher sur des choses mais je ne suis pas et je ne serais jamais lou Reed pour résumer. Je ne pourrais pas. Je ne suis pas assez fort et il ne fais pas assez froid dans mon pays... Même si je me sens proche musicalement de Lou Reed et même de plus en plus, mais non ... D'autant que je suis en contact avec des gens qui ont ces faiblesses -- ou cette force, je n'en sais rien après tou -- et ces tentations du mal, de la souffrance par le plaisir et du plaisir par la souffrance.